Le jour de la carpe

introduction

Il y a quelques semaines, après avoir reçu ma pierre à encre sumi, j’ai commencé un nouveau cahier japonais. Les pages non reliées se déplient comme les jours, l’une après l’autre. Lorsque toutes ont été tournées, elles s'étalent et tanguent ensemble comme les arbres debouts l’un contre l’autre dans la forêt.
Ce jour de première page est un 5 mai. J’aime les premières pages et j’aime bien ce 5 mai. C’est une journée chargée de symboles au Japon, durant laquelle des carpes en papier de soie sont suspendues partout dans les rues. La carpe est célébrée pour son courage et sa persévérance. Il y a deux ans,j’en avais orné la fenêtre de mon bureau.  
Donc, la première page de carnet ... vide comme il faut, pour y inscrire de futures reminiscences, subjectives ou singulières, de notre époque postmoderne, . Rien ne semble arriver encore durant ce 5 mai. Faut-il que quelque chose arrive pour relier les jours entre eux? Non, les choses viendront. Le geste, avec les pinceaux et l’encre, les traits et les formes  jouent avec le vide et le plein.  L’espace négatif parle muettement, extraie  son essence de l’ombre et de l’obscurité, comme les arbres dans la forêt s’étirent, depuis les sous-bois jusqu’à l’extrémité de leurs branches, de leurs feuilles et pensent en silence... Ne pas se laisser déstabilisés.

C’est une carpe finalement qui survient sur les premières pages.

L’interdiction de se déplacer à été mise en place en France comme mesure sanitaire depuis le 17 mars et se prolongera jusqu’au 11 mai. 
Un carnet de bord: rien de plus utile pour continuer d'agir malgré la confusion, la coupure des liens avec les autres. lorsque ce qui était prévu est en stand by. Quel est donc cet horizon au bout de nos yeux?
Durant  ce temps paradoxal de restriction spatiale, je réfléchis au sens que nous donnons à notre  liberté de déplacement, aux doutes qui accompagnent les décisions de nos gouvernements, à nos propres incertitudes.  Habituée à crapahuter ici et là,  les mesures coercitives nous ont tous incités à changer d’angle, à adopter un autre raisonement, à  envisager plus ou moins des projets latents. 

Qu’à cela ne tienne, restons chez-nous! 
Pour autant, l'idée de me contenter de ce qui n'est donné me plaît. ici l’endroit est reculé. C’est un pli de terre, confiné dans les contreforts du Massif Central. Ici, je peux marcher des heures sans rencontrer âme qui vive. Ici, la distanciation sociale n’existe pas. Elle s’appelle éloignement, isolement ou solitude, selon l’état d’esprit. Et puis, le verger, le jardin, l'atelier sont les espaces qui m'appellent au rythme des saisons, de la lumière, des pluies et des périodes de sécheresse...

Ici, c'est la terre qui me fait.
Dans un carnet, sont couchés les gestes de tous les jours, le pas immobile du quotidien,  pour les rassembler et les cartographier doucement en forme de chemins. Rien de neuf, exceptés le moment et celui d’après.
C’est  l’opportunité de “faire” du temps, de se perdre dans cette forêt, comme l’arbre multiséculaire, qui n’a que faire de nos calendriers.  Le temps se déplie à une toute autre échelle, sur un mode de concentration et d’expansion tout à la fois, quoiqu’il arrive.

La carpe mord à l’hameçon

Mes enfants et l’un de leurs amis viennent faire une visite un dimanche, alors que nous pouvons désormais nous déplacer dans un périmètre de 100 kilomètres. Nous avons déjeuné dans le pré, puis ils sont allés pêcher à l’étang du village. Une grosse carpe a attrapé l’hameçon. 

 

  •  je poursuis mes dessins inspirés des omikuji japonais qui sont une sorte de petite prière, un avis que l’on demande aux dieux avant de prendre une décision importante (LIEN) même si on ne décide pas.  J’entreprends et rassemble des séries de travaux sur papier qui peuvent être vues chez moi à l'atelier pour le moment ou ici
  • A la fin du mois de mai,  est achevée la série Tarpaulin & Ropes que je me suis engagée à produire en participant humblement au projet Art Donation Campaign que mon ami Wolf Helzle a mis en place.

 

 

  • Pour créer un espace ouvert au public, j'organise la pièce du vieux four à pain et la grange au sud . Il est possible aux visiteurs d’y voir mes travaux sur papier dans la première, et dans la seconde, mes peintures. J’ai accroché une enseigne au bord de la route devant chez nous.

La liberté de la carpe

Après que nous l’ayons admirée, le pêcheur parfaitement heureux lui restitue sa liberté et la plonge délicatement dans la profondeur sombre de l’eau.
Les couleurs à l’huile et les procédés que j’utilise imposent une certaine lenteur, une déperdition du temps qui passe. Il n’est plus question de quantifier ce temps, mais de suivre le rythme de la composition, de la réalisation des textures, du séchage, des repentirs et des recommencements. La toile crée son univers intrinsèque et ses propres repères au temps. 

  • Plusieurs toiles dont deux en particulier sont en cours et nées de cette dernière période (parce qu’il  m’arrive de peindre des choses enfouies depuis longtemps) . A suivre...